Mon admission à la SNCF

À cette époque, en 1963 donc, la SNCF recrutait à la fois des diplômés d’université et/ou de grandes écoles d’ingénieurs, mais aussi des apprentis pour les métiers de la Traction et de l’Exploitation. Les diplômés étaient embauchés sur titres, tandis que les apprentis étaient recrutés sur concours.

Ayant pour seuls dipômes le CEP (Certificat d’Etudes Primaires) et le BEPC (Brevet d’Etudes du Premier Cycle) et sortant d’une classe de seconde à St François d’Assise à Hazebrouck (petit séminaire), j’ai passé le concours d’ « élève Exploitation » à Lille. C’était, je crois, en mai 1963 et à la Chambre de Commerce de Lille. Les candidats étaient nombreux et la SNCF prenait une trentaine de concurrents. Je ne sais plus comment j’avais été classé mais je m’en étais bien sorti et j’ai donc été admis à rentrer dans cette grande entreprise en septembre de la même année.

Je devais me présenter au chef de gare de Steenwerck le 2 septembre. Mais le hazard avait voulu que je sois malade à ce moment là et je me suis donc rendu à la gare de mon village, en vélo, le 5 septembre seulement. Ce qui m’a valu la réflexion suivante et acidulée du chef de gare, M. PETIT : « Eh bien ! Ça commence bien ! »…D’un naturel encore timide à ce moment-là (je n’avais pas encore 16 ans !), j’étais assez contrarié par cette rentrée tardive et cet accueil officiel peu enthousiaste du chef de gare ! Mais j’étais bien décidé à me rattraper !

Les gares étaient classées en 6 classes, les très grandes gares comme Lille ou Paris faisant l’objet d’une catégorie à part. Et la gare de Steenwerck était une gare de 5ème classe. Son activité convenait fort bien à un jeune apprenti comme moi ! On y trouvait, en effet, du trafic de voyageurs avec plusieurs trains « omnibus » pour se rendre soit à Armentières et Lille, soit, dans l’autre sens, à Bailleul, Hazebrouck et Dunkerque ou Calais. Ces trains n’avaient pas encore l’appellation de « TER » mais ils en avaient bien la mission. La gare de Steenwerck était (et elle est toujours) située sur la ligne à double voie « LILLE – CALAIS » encore exploitée en traction vapeur mais son électrification était en cours et j’ai donc vécu cette modernisation de la traction en temps réel ! Sans doute un hazard, mais simultanément l’autoroute A25 était en cours de construction, une période de grands chantiers donc dans le département du Nord !

En plus du trafic voyageurs, il y avait aussi dans cette petite gare du trafic de marchandises, bien modeste certes, mais assez régulier quand même, avec surtout des wagons de pommes de terre expédiés par le négociant LECOUFFE installé à proximité de la gare, et des wagons d’eau minérale. Ce trafic était intéressant pour moi car il donnait lieu à des manoeuvres dans la gare, pour la livraison et l’enlèvement des wagons vides et chargés dans la « cour marchandises », le train de desserte tiré par une machine à vapeur venant de la gare d’Armentières. À ces marchandises, s’ajoutaient aussi mais moins fréquentes des expéditions et des livraisons de colis qui empruntaient les trains de voyageurs.

Tous ces trafics entraînaient des activités variées de distribution de billets (en carton préimprimé pour les destinations usuelles et en papier à rédiger pour les autres), de traitement d’écritures pour les colis et les wagons et de comptabilité.

Indépendamment des activités commerciales de la gare, il fallait aussi assurer la sécurité de la circulation des trains et en particulier l’espacement des trains, le « cantonnement » dans le jargon cheminot de l’époque. Cet espacement était réalisé avec un système appelé « Block Lartigue Nord », du nom de son inventeur, Henri Lartigue ingénieur à la Compagnie du Nord. Lorsqu’un train s’approchait de la gare, un petit signal en forme de panneau indicateur ajouré, de couleur jaune, apparaissait à la perpendiculaire, à mi-hauteur, du mât du « sémaphore » qui était implanté près du Passage à Niveau de la gare. Et quand le train était passé ou avait quitté la gare, il fallait actionner une manivelle qui faisait apparaître le « sémaphore », une grande aile rouge en forme de raquette ajourée, à la perpendiculaire du mât également mais au sommet du mât. Ce signal « sémaphore » en position « fermé » interdisait la pénétration du canton aval par un train arrivant dans le canton amont tant que l’aile rouge du sémaphore ne retombait pas le long du mât, indiquant ainsi la libération du canton aval.

L’agent de la gare chargé d’actionner le sémaphore était aussi responsable de la fermeture puis de l’ouverture des barrières du Passage à Niveau « gardé » 24 heures sur 24.

La gare de Steenwerck comptait 3 agents, le chef de gare, un « facteur enregistrant » chargé de la sécurité des circulations, du guichet de la gare, des écritures et de la comptabilité, et enfin d’un « homme d’équipe » chargé des manoeuvres et du « ménage » de la gare.

Toutes ces activités, ces opérations variées , m’ont rapidement plongé dans l’univers ferroviaire et le monde cheminot !

Moi, je n’avais pas de responsabilité propre dans le fonctionnement de la gare, mais je devais me consacrer à mon « apprentissage » d’exploitant ! En nous désignant comme des « élèves Exploitation », la SNCF voulait nous distinguer des « apprentis MT » , les jeunes garçons (il n’y avait pas encore de mixité !) qui intégraient les écoles SNCF qui formaient soit les techniciens des ateliers , soit les conducteurs de trains, les « mécaniciens » ! Pour ma formation pratique, je suivais mes collègues de la gare dans leurs différentes tâches et pour ma formation théorique, je recevais chaque mois une liste des différentes réglementations à étudier et sur lesquelles mes connaissances étaient contrôlées chaque mois aussi dans une séance d’interrogations écrites qui se déroulait à Lille, où je retrouvais mes collègues de promotion (de mémoire, nous étions 25 ou 30, je ne me souviens plus exactement).

Cet apprentissage a duré 2 années et à l’issue de la première année, j’ai reçu une mutation dans la gare de Bac St Maur, sur la commune de Sailly s/Lys, et située sur la ligne à voie unique d’Armentières à Merville. Cette ligne dessert encore aujourd’hui l’usine de la société ROQUETTE à Lestrem, mais en 1964, elle desservait aussi les gares de Sailly s/Lys, Laventie et Merville dans lesquelles il y avait des trafics de pommes de terre et d’engrais principalement, comme dans la gare de Bac St Maur où je me trouvais ; le négociant en pommes de terre s’appelait M. Huchette. À cette époque chaque gare des Flandres avait son négociant de pommes de terre, souvent installé dans un bâtiment loué de la gare !

Le chef de gare, M. Dubaele, était seul, l’activité ne nécessitant pas d’autres agents. Mais il était très consciencieux et visiblement heureux de pouvoir me transmettre toutes ses connaissances ferroviaires sur l’exploitation en voie unique où la sécurité requiert encore plus de vigilance que sur une ligne à double voie. En effet, l’espacement des trains était réglé par le « cantonnement téléphonique » et reposait donc uniquement sur des échanges de dépêches entre les gares. Il fallait aussi à certains moments assurer des « croisements » de trains, soit de directions opposées, soit pour permettre un dépassement et c’était le cas en particulier pour les trains de desserte de la gare qui livraient les wagons ou qui les enlevaient, vides et chargés. Ces trains étaient encore tous en traction vapeur !

En plus de mon apprentissage en gare, sur le terrain, j’avais quelques périodes de formation en école SNCF, à Lille Délivrance, une école située dans le périmètre de la cité SNCF, sur la commune de Lomme. J’écris « quelques » car je ne me souviens plus de leur nombre, ni de leur fréquence. Ces périodes se déroulaient en internat et indépendamment des cours de réglementation ferroviaire qui étaient dispensés par 2 agents affectés à l’école, le directeur et son adjoint, ainsi que par des agents cadres en vacation, elles offraient aussi l’occasion de tisser des liens de camaraderie, voire d’amitié, avec les collègues de la promotion.

Les « élèves Exploitation » faisaient aussi pour la SNCF une bonne réserve de personnel pour la gare de Lille lorsqu’elle avait besoin de renforts ! C’est ainsi que je me suis retrouvé plusieurs fois à Lille dans la période de Noël ou des vacances d’été ! Le grand hall de gare avait un parfum d’escarbilles de charbon avec des panaches de vapeur un peu partout ! La machine à vapeur y régnait encore en maître ! Dans les premiers temps, j’étais très impressionné par la taille XXL de cette gare et de tout ce qui bruissait dedans, un contraste énorme avec mes « petites gares » de Steenwerck et de Bac St Maur !..l’immensité du hall, le nombre de voies, tous ces trains qui arrivaient et qui partaient en même temps, tous ces nombreux voyageurs et le personnel en nombre également pour donner le départ des trains, assurer les manoeuvres, faire le contrôle d’accès aux quais, les « porteurs de bagages », bref j’avais l’impression de découvrir un monde entièrement nouveau dont je ne soupçonnais pas les dimensions !.. Pour tout dire, ça me faisait un peu peur de m’y plonger ! Par contre, j’ai été ravi quand j’ai appris que la SNCF réservait à ses élèves Exploitation, ses agents « mineurs » 12 jours de vraies vacances dans ses centres de vacances ! C’est ainsi que j’ai pu découvrir, la première année, le plaisir des sports d’hiver à Samoëns (près de Bourg St Maurice) et des charmes de la Côte d’Azur à St Raphaël, au cours d’un séjour de deux semaines en alternance sur les deux résidences. La montagne m’avait bien plu, mais les couleurs luxuriantes du massif de l’Esterel et de ses paysages m’avait franchement émerveillé ! Moi qui n’étais jamais sorti de mon village de Steenwerck jusque là, j’étais subjugué par tant de beautés naturelles ! Et durant la seconde année d’apprentissage, j’ai pu découvrir la Camargue ! Émerveillé à nouveau, j’en ai aussi gardé le souvenir d’une promenade à cheval où je n’avais pas l’équipement vestimentaire adapté pour les étangs camarguais, avec en particulier un pantalon qui me remontait sur les chevilles une fois en selle et qui a permis aux moustiques voraces de la région de se faire un festin pendant deux heures ! Peu après la balade, j’avais les chevilles gonflées et doublées de volume ! Ce fut très pénible ! Cet apprentissage « d’élève Exploitation » se termina au printemps 1965 par les épreuves écrites et orales du concours de FEN2 « mineur » (Facteur Enregistrant de 2ème classe mineur) que je réussis plutôt bien ! Et aussitôt je fus donc nommé à ce grade et affecté à la gare d’HAZEBROUCK où j’étais chargé de seconder le chef de service Voyageurs en assurant essentiellement le départ des trains. J’étais heureux et assez fier de moi, car je n’avais pas encore 18 ans et nous n’étions pas nombreux parmi mes jeunes collègues à avoir décroché ce grade ! J’avais de l’ambition et j’avais bien l’intention de progresser encore mais je ne pouvais plus tenter aucun examen ni concours de promotion professionnelle avant mon retour du service militaire toujours obligatoire à l’époque ! Il me fallait donc attendre « l’appel sous les drapeaux » à 19 ans ! Aussi, pour éviter cette trop longue attente à mon goût, je décidai de « devancer l’appel » ! Pour l’Armée, cela correspondait, en fait, à un contrat d’engagement. Mais pour concrétiser cet engagement, il fallait d’abord obtenir l’autorisation de ma hiérarchie SNCF, en l’occurrence, le Chef d’Arrondissement Exploitation à Lille, M. THOREUX. Je me souviens encore de mon rendez-vous avec lui dans son vaste bureau ! Il m’a fait asseoir dans un fauteuil en cuir confortable mais très bas et j’avais naturellement le sentiment d’être « dominé » physiquement et psychologiquement par lui ! C’était sa technique de management lui permettant de vous convaincre d’office et immédiatement que le « Chef »,c’était lui ! Cela étant, l’entretien s’est bien passé, il m’a falécité pour mes résultats professionnels et il m’a donné son accord pour rejoindre l’Armée plus tôt que prévu ! Je suis donc allé signer mon contrat d’engagement dans l’Armée de l’Air, rue de Thionville à Lille (Un avantage supplémentaire du « devancement d’appel » était aussi de pouvoir choisir son Armée d’incorporation, ce qui n’était pas le cas pour les « appelés » du service militaire obligatoire !..) Et c’est ainsi que dans les premiers jours de janvier 1966, je me suis retrouvé sur la Base Aérienne (BA 106) de Vélizy-Villacoublay que je n’ai pas quittée pendant la durée de mon « engagement » militaire, soit 16 mois.

Je ne m’étends pas ici sur cette période militaire sur laquelle je reviendrai dans un article particulier. »