Mon retour de l’Armée

Après 16 mois passés à Vélizy-Villacoublay, près de Versailles, sur la BA 106, j’ai été « libéré » de mes obligations militaires ! Et j’ai donc réintégré la SNCF, mais avec une surprise qu’à ce moment-là j’ai trouvée plutôt amère ! En effet, le recrutement d’agents Exploitation s’avérant difficile pour la SNCF en région parisienne, l’entreprise avait décidé que toutes ses jeunes recrues sortant du service militaire et demandant leur réintégration devaient accepter une mutation d’office en région parisienne ! C’était « à prendre ou à laisser » !.. Je fus donc muté en gare de CREIL, dans l’Oise.

CREIL est une grande gare de passage située sur la ligne classique PARIS-LILLE, mais c’est surtout un terminus de trains important pour la banlieue Nord, une grosse bifurcation entre les lignes PARIS-LILLE et PARIS-ST QUENTIN, MAUBEUGE et la BELGIQUE (BRUXELLES par ligne classique), et enfin, une gare de triage marchandises qui était importante également en 1967, la gare de CREIL-PETIT THÉRAIN…Bref, une grosse gare et où tout était réuni pour me perturber !..Une gare avec un gros trafic de voyageurs et de marchandises, une intense circulation de trains, un personnel nombreux dont je ne connaissais personne, une ville et une région à découvrir et très loin de « ma maison », celle de mes parents en l’occurrence à STEENWERCK, impossible à rejoindre chaque soir, évidemment ! Je me sentais perdu, « pommé » dirait-on aujourd’hui ! Et après l’éloignement imposé par le service militaire pendant 16 mois, je comprenais que la perspective de retrouver le clocher de mon village natal à laquelle je m’étais raccroché devenait subitement une chimère ! Je n’avais pas le moral du tout et je voulais démissionner de la SNCF, tellement j’étais découragé ! Heureusement, Papa et Maman ont réussi à m’en dissuader et à « me remettre en selle « ! Vers le mois de mai ou juin 1967, me voilà donc débarqué en gare de CREIL !

Après un jour ou deux, je ne sais plus, à trouver un logement et à m’installer, j’ai rencontré le chef de gare de CREIL dans son bureau et il m’a affecté sur les quais voyageurs de la gare, pour la réception et l’expédition des trains, mais il a dû me dire que j’allais être aussi être mis à la disposition du Chef de l’Agence Exploitation (EX) de CREIL pour les remplacements du personnel pendant les absences, congés, repos, maladie,etc… Et je pense avoir été « placé » dans cette Agence assez rapidement, pour mon bonheur d’ailleurs ! En effet, j’ai tout de suite été accueilli avec beaucoup de sympathie par des collègues attentionnés qui m’ont aidé à reprendre goût à mon travail et m’ont redonné le moral ! Je me souviens encore du nom de ces collègues : André MOZON (qui habitait St MAXIMIN, près de CHANTILLY, et où il cultivait un très beau jardin où il nous avait tous invités un jour pour un sympathique barbecue, je m’en souviens encore !) / Jean DOREAU (qui habitait AMIENS !) / Jean-Marie PIARD (qui habitait CREIL) et Christian DORET (qui habitait LAIGNEVILLE, je crois mais je n’en suis pas certain). L’Agence était dirigée par M. BAYARD, inspecteur divisionnaire, un monsieur d’aspect sèvère (avec son chapeau, il avait le physique du parfait inspecteur divisionnaire de la police !) mais très humain et qui fumait la pipe ! Il était secondé par deux adjoints, M. DESSAINT, inspecteur aussi, et qui était chargé de tous les problèmes de sécurité dans le périmètre de l’Agence,et M. DUBIEF, inspecteur également, chargé, lui, des questions commerciales, de trafic !

Je devais rester à CREIL jusqu’en septembre 1968. Pendant cette période d’affectation « subie », mes occupations alternaient entre des tâches de gestion administrative ferroviaire à l’Agence EX et des matinées (6h/13h) ou des soirées (13h/21h) sur les quais de la gare de CREIL à « expédier » ou recevoir les trains ! Et pour occuper mes temps libres, je me remettais dans l’étude des règlements de sécurité ferroviaire, j’avais repris aussi des cours par correspondance de français et de géographie et quand la météo s’y prêtait, je prenais mon vélo pour des balades bien agréables dans les jolis paysages du département de l’Oise ! Et en fin de semaine généralement, je « remontais dans le Nord » pour rentrer à STEENWERCK revoir mes parents et mes deux soeurs, Anne-Marie et Thérèse. C’est également durant cette période que j’ai vécu les évènements de « Mai 68 » ! Lorsqu’ils se sont déclenchés, je ne réalisais ni leur gravité, ni qu’ils prendraient cette ampleur nationale et généralisée ! Et quand les grèves ont commencé, je ne pensais vraiment pas qu’elles se prolongeraient pendant près de trois semaines et sans aucune circulation de train ! J’avais donc décidé de rester à CREIL, espérant naïvement que tout cela finirait assez vite ! Mal m’en a pris, bien sûr, et j’ai bien dû assumer mon choix malheureux ! J’ai donc vécu cette page de notre histoire sociale à CREIL. Ce n’était pas la révolution, mais on sentait que le pays vivait une grande crise sociale et dont personne ne connaissait l’issue ! Beaucoup de gens étaient inquiets, sans oser le dire franchement ! Pris dans la tourmente,il valait mieux « suivre le mouvement » comme on dit et c’est ainsi que , pour ce qui me concerne, j’ai adhéré à ce moment là au syndicat CGT qui était largement majoritaire en gare de CREIL. Les délégués syndicaux faisaient preuve de responsabilité et à chaque assemblée quotidienne, ils nous appelaient à garder notre sang froid et faisaient appel aux volontaires pour gardienner les installations de sécurité de la gare (postes d’aiguillage, bifurcations,etc…), de jour comme de nuit ! Leur crainte, en effet, était que des individus extrêmistes viennent endommager ces installations en faisant passer les cheminots grévistes pour des saboteurs ! J’ai participé à cette mission de gardiennage mais je ne me souviens plus exactement de ce qu’on m’a confié ? Par contre je n’aimais pas du tout les assemblées où les prises de paroles ne me paraissaient pas souvent objectives,avec en plus des votes de résolutions systématiquement réalisés à main levée et donc avec des résultats forcément biaisés car fort peu de gens osaient exprimer un vote hostile à l’orientation sollicitée et attendue par les leaders syndicaux ! Le climat social était si tendu qu’il valait mieux rester discret sur ses véritables opinions ! Ce n’était peut-être pas très courageux mais c’était plus prudent, car tout pouvait dégénérer très vite ! Bref, en plus d’être éloigné de ma famille, je ne me sentais pas à l’aise dans cet environnement et j’avais hâte que tout ce désordre social finisse !..Il fallut attendre trois semaines et « les accords de Grenelle » pour mettre fin aux grèves et relancer progressivement l’activité dans tout le pays ! Quant à moi, j’étais heureux de pouvoir « remonter » dans le Nord, à STEENWERCK, retrouver ma famille et une atmosphère plus paisible pour tenter d’oublier cet épisode traumatisant et « passer à autre chose » !

L’autre chose n’allait pas tarder, car après quelques mois de nouveau sur les quais en gare de CREIL ou au bureau de l’Agence EX, je fus muté en gare de DUNKERQUE, une très grande gare, bien sûr, surtout pour le trafic des marchandises induit par le port et l’industrie dunkerquoise ! C’était à la fin de l’année 1968.

Je me souviens avoir été reçu dans le bureau du chef de gare, un certain M. Théodore SAMET, un « personnage » ! D’origine polonaise, il avait un accent particulier que je ne sais pas vraiment qualifier. Il m’a expliqué l’affectation qu’il avait décidé de me donner et que j’allais avoir à gérer le faisceau de voies appelé « des dunes », où arrivaient et d’où partaient tous les wagons destinés au port Est ou en provenance des voies des quais de ce port. Ce faisceau était géré depuis le poste »E »,un poste d’aiguillage très ancien avec des commandes d’aiguilles pneumatiques. L’ état d’occupation des voies du faisceau devait être suivi « à la main » sur un tableau, sans d’autre contrôle que la responsabilité du chef de chantier, c’est-à-dire la mienne ! M. SAMET a insisté sur ce point et il m’a dit en le quittant : « Messieur VANGASSE, jé né veux plus entendre parler dé vous ! » Avec le sous-entendu suivant : si j’entends parler de vous, c’est que vous aurez provoqué une réception de train sur une voie occupée !

Dans cette affectation au poste E, je travaillais en 3×8 (matinée, soirée et nuit) en compagnie d’un agent de manoeuvre qui m’aidait dans mon travail en se rendant sur les voies chaque fois que nécessaire,c’est-à-dire fréquemment ! Il s’appelait Pierre MOENER, un breton, fort courageux et avec lequel je m’entendais très bien ! Heureusement car dans ce faisceau des dunes assez isolé de tout, je me sentais assez seul ! Mais j’étais toujours très concentré sur mon travail, surtout dans les périodes chargées, avec cette pression sur les épaules d’éviter à tout prix une réception de train sur voie occupée dont les conséquences pouvaient être graves, humainement et matériellement.

Compte tenu du travail en 3×8 et de l’éloignement de STEENWERCK, j’avais une chambre dans un logement de célibataires SNCF à ST POL SUR MER. Je rentrais donc chez mes parents une fois par semaine, le jour de mon repos hebdomadaire.

Je suis resté peu de temps à DUNKERQUE, mais j’en garde de bons souvenirs .

En mars 1969, je suis muté en gare de GRAVELINES. C’était une petite gare située à mi-parcours de la ligne à voie unique CALAIS-DUNKERQUE. À cette époque, la centrale nucléaire de GRAVELINES n’existait pas encore et la commune de GRAVELINES n’était donc pas aussi connue qu’aujourd’hui,bien sûr ! C’était une gare voyageurs avec plusieurs trains « omnibus » quotidiens pour DUNKERQUE ou CALAIS mais c’était aussi une gare marchandises qui desservait une petite cartonnerie , quelques clients marchandises divers et le petit port de commerce utilisé surtout pour un trafic de bois. J’ai beaucoup aimé mon travail dans cette gare, c’était très varié avec des tâches commerciales mais aussi pas mal de sécurité ferroviaire avec de nombreux trains qui se croisaient à GRAVELINES. Parmi mes souvenirs, je retiens celui qui m’a le plus marqué,la « demande de secours » d’un train de voyageurs pour CALAIS,un autorail diesel en panne entre DUNKERQUE et GRAVELINES. C’était tôt le matin et ce jour-là, j’étais chef de sécurité. Que faire ? J’avais bien étudié ce cas de figure dans la réglementation mais je ne pensais pas que ça m’arriverait ! J’ai gardé mon sang froid et comme il y avait un train de marchandises qui devait arriver de CALAIS pour la société USINOR à DUNKERQUE et qui était tracté par une machine à vapeur, je l’ai mis sur une voie de garage de la gare et j’ai envoyé cette machine à vapeur chercher l’autorail en panne pour le tracter ensuite jusqu’à CALAIS ! Pas banal de voir un autorail tracté par une machine à vapeur ! J’ai encore cette image dans la tête ! Cette affaire m’a valu la visite de l’inspecteur sécurité de l’Agence EX de DUNKERQUE quelques jours après ; il voulait vérifier que j’avais bien suivi toutes les procédures réglementaires prévues pour cette « demande de secours » en voie unique assez rare !..Ne m’étant pas trop mal « débrouillé », je ne me souviens plus s’il m’a félicité, mais il m’a dit que j’avais bien géré cet incident et j’étais assez content de moi, a posteriori !

Au début de mon séjour à GRAVELINES, je logeais à PETIT FORT PHILIPPE où j’avais trouvé une chambre à louer chez une vieille dame très sympathique et toujours élégante ! Et le soir, quand j’étais libre, j’allais souvent me promener sur la jetée pour respirer l’air marin, voir les petits bateaux de pêche partir en mer, les pêcheurs au carrelet et aussi admirer les très beaux couchers de soleil ! Je n’avais pas d’aspiration pour la peinture, mais souvent, le panorama de la mer avec l’embouchure de la rivière de l’Aa et le phare caractéristique de PETIT FORT PHILIPPE joliment peint de couleurs noire et blanche appliquées en colimaçon de sa base à son sommet, ce panorama aurait sûrement fait le bonheur de Claude MONET !

Puis assez vite,j’ai troqué ma chambre chez cette brave dame pour me loger dans l’ancien bureau de la halle à marchandises de la gare ! J’avais repéré que ce bureau était inutilisé et pouvait me servir de chambre à condition de le débarrasser de tout ce qui traînait dedans et d’y faire un sérieux nettoyage ! Et c’est ce que j’ai fait ! Il m’a fallu l’autorisation du chef de l’Agence EX de DUNKERQUE dont je dépendais mais je l’ai obtenue assez facilement, après une rapide visite de contrôle pour vérifier que l’endroit était propre !

Et je passais aussi pas mal de temps à réviser la réglementation ferroviaire ainsi qu’à préparer le concours d’entrée à l’école de formation générale de la SNCF à LOUVRES dans l’Oise. Admis à passer les épreuves orales après l’écrit, je pense avoir reçu mon admission définitive à l’école vers le mois de mai 1969. Et immédiatement après , j’ai reçu des cours par correspondance de français, de géographie et de mathématiques conçus spécialement pour l’école et qui avaient pour but de mettre ou de remettre tous les candidats reçus à l’école à un niveau suffisant pour la rentrée de septembre ! Il fallait impérativement renvoyer les devoirs de ces trois matières toutes les trois semaines, sous peine de perdre l’inscription à l’école ! Autant dire que je ne m’ennuyais pas du tout !

C’est mon étape à l’École de Formation Générale (EFG) de LOUVRES que je vais maintenant vous raconter dans la page suivante.