Assez rapidement après sa création en 1937, la SNCF a pris conscience que nombre de ses agents avaient les capacités professionnelles pour accéder à des postes de maîtrise et d’encadrement, mais une formation générale insuffisante du fait de leurs origines sociales souvent très modestes et de leur scolarité presque toujours limitée à l’école primaire. Elle a donc décidé de créer sa propre École de Formation Générale, accessible par concours aux agents les plus susceptibles d’obtenir une promotion vers la maîtrise et l’encadrement. La première promotion d’élèves a intégré cette école « EFG » en 1946.
Le concours en poche et la série de cours par correspondance terminée, comme je l’ai déjà indiqué, ma « rentrée » s’est déroulée dans les premiers jours de septembre 1969. Nous étions nombreux ce jour-là à descendre du train de banlieue en gare de LOUVRES avec une grosse valise à la main et à nous diriger vers l’école située à environ 500m de la gare. On ne se connaissait pas encore, bien sûr ! Et on avait la tête de gens qui se demandent ce qui va leur arriver !
L’ école se trouvait dans un très grand et très beau parc boisé et il fallait d’abord se présenter au bureau administratif de l’école, vers le milieu du parc. Nous étions accueillis à l’entrée du bâtiment par le dirigeant de l’école au niveau de la DRH (Direction des Ressources Humaines) à PARIS, M. QUINSON, et le directeur de l’école sur place, M. VILA. Ils nous souhaitaient la bienvenue en nous donnant quelques informations pratiques et en nous demandant, petit détail, notre nom et notre prénom. On ne se doutait pas de l’importance qu’il aurait quelques heures plus tard ! En effet, après s’être installés dans la chambre qui nous était réservée et fait rapidement connaissance avec le collègue qui serait notre compagnon de chambre durant toute l’année scolaire, nous étions tous invités à rejoindre le restaurant de l’école implanté à l’une des extrêmités du parc. Et avant de nous attabler, M. QUINSON prononçait un petit discours sur l’école et son intérêt pour chacun de nous mais aussi pour la SNCF, puis il passait devant chaque table en nous appelant par notre prénom et notre nom, sans aucune note, et sans faire une seule erreur ! Notre promotion, la 24ème depuis 1946, comptait 74 élèves et nous étions tous médusés, bien sûr, par cette prouesse de mémoire de M. QUINSON ! Je ne me rappelle plus, évidemment, les conversations qui s’en suivaient au cours du repas, mais l’accueil personnalisé, le magnifique parc de l’école, la brillante prestation de M. QUINSON, la qualité de la restauration nous avaient fait basculer en une matinée dans « un autre monde » que celui de nos gares ou de nos ateliers ! Il faut préciser que l’EFG était ouverte à tous les agents de la SNCF, quel que soit leur filière, Exploitation, Voies et Bâtiments ou Matériel.
Compte tenu du nombre d’élèves de la promotion, nous étions répartis en deux sections, comme deux classes d’un même niveau dans un collège ! Je me trouvais dans la 1ère section, avec une trentaine de collègues, tous des « gars » car en 1969, l’école n’était pas mixte.
Nous avions de très bons professeurs ! Beaucoup étaient professeurs d’Université mais il y avait aussi un certain nombre de professeurs « maison » c’est-à-dire tenant un poste dans l’entreprise, mais qui donnaient également des cours à l’EFG grâce à leurs capacités liées à leurs diplômes universitaires ou de grandes écoles. Leurs cours étaient toujours captivants pour nous mais intéressants aussi pour eux car ils avaient affaire à des adultes volontaires et responsables !
Le régime de l’école était intensif car l’objectif était de nous amener au niveau du Baccalauréat à la sortie de l’école. Nous avions donc des cours toute la matinée, tout l’après-midi, et du lundi matin jusqu’à vendredi en milieu d’après-midi, afin de nous laisser le temps de prendre un train pour rentrer chez nous le week-end. Il y avait aussi, bien sûr, des pauses récréatives pour faire du sport ou se. distraire, chacun à sa façon ! Nous avions également des sorties destinées à élargir notre horizon culturel ou économique. Je ne me souviens plus de toutes celles que nous avons faites, mais je me rappelle que nous sommes allés visiter le port de STRASBOURG en février 1970, il faisait très froid ! Nous avons bien sûr visité la cathédrale, avec notre professeur de grammaire, M. LECUYER, féru d’histoire de l’Art et qui excellait dans son rôle de guide passionné de nous transmettre ses connaissances ! Du reste, il nous accompagnait dans presque toutes les sorties ! Parmi d’autres sorties, je me souviens du site de Glanum, en Provence, du barrage EDF de VALLABRÈGUES, des Baux de Provence, de la cathédrale de CHARTRES, d’une soirée à l’Opéra GARNIER à PARIS, des mines de potasse près de MULHOUSE,bref un éventail de sorties très éclectique !
Parmi les plaisirs de l’école, il y avait celui de parcourir le grand parc boisé en y croisant les jardiniers, et aussi ceux de la table, avec un véritable restaurant qui n’avait rien à voir avec « la cantine » ! Des menus variés et de qualité préparés par un chef cuisinier sympathique et talentueux. Jamais je n’avais mangé comme ça,avec tous les midis, entrée, plat et dessert ! Inutile de dire que ceux qui étaient un peu trop gourmands ont dû faire quelques efforts pour garder la ligne, ou tout simplement parfois résister à l’assoupissement pendant les cours de l’après-midi !.. C’est à l’ EFG que j’ai dégusté pour la première fois des huîtres ! Elles nous avaient été servies un soir dans un repas festif avant notre départ en vacances de Noël ! Oui, nous étions bien dans un tempo scolaire et donc nous avions à peu de choses près le même calendrier scolaire que les lycéens, avec des périodes de vacances à Noël et Pâques, des vacances dont nous avions bien besoin compte tenu de l’intensité des cours et des épreuves de contrôle à passer. Certains de mes copains s’accordaient des sorties à PARIS le soir pour se détendre, comme mon collègue de chambre, Daniel BEAULIEU, mais moi je voulais « réussir » mon école et le soir, je « bûchais »! Mes efforts ont payé puisque je suis sorti de l’école en juin 1970 avec le titre d’ « Attaché groupe Vb » attribué seulement à quelques élèves de la promotion, la plupart des autres obtenant le titre d’ « Attaché groupe VI » accordé aux agents qui rentraient à la SNCF avec le Baccalauréat. Cette réussite m’a permis d’avoir une promotion plus intéressante à la sortie de l’école que la majorité de mes copains. Avec la satisfaction personnelle aussi d’être major de ma promotion, selon la confidence des dirigeants de l’école.
Mais indépendamment de ma promotion permise par cette année scolaire tout à fait unique, j’ai gardé et je garde toujours de mon passage à l’EFG le souvenir d’une expérience culturelle et humaine très riche, d’un lien d’amitié très fort aussi avec tous mes collègues de promotion avec qui j’ai partagé cette année très studieuse, exceptionnelle ! Elle reste un temps fort de ma vie.
L’école étant « finie », il fallait que chacun retourne à ses affaires et à son métier, il fallait revenir sur les quais pour ce qui me concerne !